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La chromatogénie

L’Hydrophobisation d’un matériau peut se réaliser de plusieurs manières différentes. Il existe en effet des sprays hydrofuges, ajoutant des micro-aspérités sur la surface du matériau et le rendant ainsi hydrophobe. Ce spray fonctionne sur de nombreux types de surfaces différents, cependant, même si son efficacité est prouvée, le temps pendant lequel il agit est assez restreint. En effet, il s’agit uniquement d’une couche déposée sur le dessus du matériau, qui peut donc s’enlever dans le temps, entrainant des pertes de performances. Il existe une autre technique, qui elle confère un caractère hydrophobe aux papiers et cartons, au coton… en résumé à tous les matériaux constitués de cellulose : la chromatogénie. En effet, l'hydrophobisation représente un enjeu technologique majeur pour l'avenir des papiers-cartons. La chromatogénie, procédé de rupture, répond parfaitement à cet enjeu.

Pensée par un ingénieur et chercheur Daniel SAMAIN il y a 20 ans, la chromatogénie (réaction d'un chlorure d'acide gras avec un matériau ayant des groupements hydroxyles) n’est pas une technique extrêmement récente cependant cette réaction se faisait à l'aide de solvant extrêmement nocifs. Cette idée a été reprise mais en faisant la réaction sans solvant et en utilisant des chlorures d’acide stéarique et palmitique. Ils sont économiquement abordables, et d’assez petite taille pour passer à travers les pores du papier.

La chromatogénie est donc un procédé de chimie verte car elle ne nécessite aucun solvant, et qu’elle se réalise à partir de matériaux biosourcés (issus de la biomasse végétale ou animale) de plus, le réactif utilisé n’est pas nocif pour l’environnement.

 

La chromatogénie est donc une technique qui consiste à greffer le réactif sur le matériau. Cela comporte deux étapes principales : tout d’abord le dépôt du réactif puis la réaction qui se fait en chauffant celui-ci. Le schéma ci-dessous présente le pilote permettant de traiter des bobines au défilé à des vitesses comprises entre 50 et 400m/min.

Dépôt du réactif

Le réactif est du chlorure d’acide gras. Ils utilisent un mélange entre deux chlorures d’acide gras (à part égale) : le chlorure d’acide palmitique et la chlorure d’acide stéarique. La différence entre ces deux molécules est la longueur de la chaîne de carbone (C16 pour le premier et C18 pour le second). Nous verrons dans la suite de nos explications, pourquoi ils ont choisi précisément ces deux chlorures d’acides gras là, et quel est le rôle de chacun.

Ils déposent donc sur le papier une faible quantité de réactif (0.2g/m² de papier suffisent) sous la forme de gouttes.

Le greffage doit normalement se réaliser entre le réactif et les groupements -OH présents dans la cellulose. Cependant, le chlorure d’acide gras pourrait aussi réagir avec l’eau présente dans le papier (le papier est composé d'environ 5% d’eau). Si tel était le cas, il n’y aurait pas de barrière de protection efficace contre l’eau mais juste la formation d’acide gras libre, c’est-à-dire une couche de gras à la surface du papier que l’on peut enlever en frottant donc perdre les propriétés hydrophobes dans le temps. Pour éviter cela, le réactif et le papier vont être chauffés.

Schéma de la dépose du réactif sur le papier, sous forme de gouttes

Chauffe du réactif

En effet, la chauffe du réactif à des tempértures de l'ordre de 190°C permet de le faire réagir préférenciel avec les groupements -OH du papier et non pas avec l’eau. Ainsi, cela va permettre de faire en sorte que l’eau s’évapore avant que le réactif ne pénètre dans le papier. De plus en chauffant, on accélère la réaction, elle passe ainsi de plusieurs minutes à une seconde.

Schéma de la diffusion du réactif dans le papier lors de la chauffe

C’est là qu’entre en jeu le type de chlorure d’acide gras utilisé. Ainsi, chaque molécule a des avantages. Une molécule avec une très longue chaine carbonée aura une hydrophobie beaucoup plus importante. Au contraire, une molécule plus petite se diffusera mieux dans le papier, ce qui permettra entre autres que le papier soit hydrophobe des côtés recto et verso, en ne traitant qu’un seul côté. Il faut donc arriver à trouver un juste milieu entre les différentes propriétés, mais aussi avec le prix des réactifs qui peut fortement varier. Les deux utilisés dans la chromatogénie au CTP sont l’acide palmitique (C16H31ClO) et l’acide stéarique (C18H35ClO). Le second étant environ 10% plus hydrophobe que le premier. Ils utilisent donc un mélange à part égale de ces deux chlorures d’acides gras, et le prix moyen pour un kilo de réactif est d’environ 5€.

La réaction, quasi instantanée crée des liaisons ester entre les chlorures d’acide gras et la cellulose. C’est grâce à cette réaction chimique que le caractère hydrophobe du papier ne peut pas s’enlever facilement. Pour y parvenir, le seul moyen serait de faire une hydrolyse du papier 48h à 70°C. La réaction libère aussi de l’acide chlorhydrique mais en petite quantité (10% de la quantité du réactif, donc 0.02g/m² de papier).

Schéma de la réaction chimique lors de la chauffe du réactif

Cet acide chlorhydrique est aspiré par une hotte puis passe dans un laveur (sorte de douche d'eau). Il va ensuite dans un bac, dans lequel ils rajoutent de la soude. Il s’agit d’une neutralisation acidobasique, où l’acide chlorhydrique et la soude vont réagir ensemble  pour former de l’eau ainsi que du sel. La chromatogénie ne rejette donc rien de nocif dans l’environnement.

De plus, le papier traité conserve ses propriétés de recyclage et de biodégradabilité malgré sa forte hydrophobie.

Équation de la réaction chimique lors de la neutralisation acidobasique de l'acide chlorhydrique

http://www.wou.edu/chemistry/courses/online-chemistry-textbooks/ch150-preparatory-chemistry/ch150-chapter-5-chemical-reactions/

Grâce à la chauffe, le réactif s’est étalé sur toute la surface et s’est diffusé dans le papier. Ainsi, en traitant seulement le côté recto du papier, il sera hydrophobe sur le recto mais aussi sur le verso. De plus, la structure globale du papier ne change pas (comme on le voit sur le schéma ci-dessous), cela reste un matériau poreux. C'est grâce à ça que les papiers hydrophobes peuvent être imprimés.

Papiers oléophobes

Au CTP, ils créent aussi des papiers avec des fortes propriétés barrières, à la fois hydrophobe mais aussi oléophobe, c’est-à-dire qu’ils résistent aux huiles et aux graisses. Dans ce but, ils déposent une couche de PVOH (alcool polyvinylique, qui résiste aux graisses)  sur le papier de quelques micromètres d’épaisseur. Le PVOH donne d'excellents barrières à la graisse et à l'oxygène mais est soluble dans l'eau, il faut donc le protéger.

Une fois le papier couché, ils réalisent la chromatogénie comme sur du papier classique. La réaction se déroule entre le réactif et les groupements -OH de la couche d’acide polyvinylique. Le papier obtenu est alors un papier résistant à la fois aux graisses mais aussi à l’eau. Aussi, il conserve ses propriétés de recyclage et de biodégradabilité.

C’est ce papier-là qui est particulièrement intéressant pour l’environnement. Les emballages alimentaires sont constitués de plusieurs couches d’aluminium et de plastiques alternées, on pourrait donc remplacer ces emballages par ce papier oléophobe et hydrophobe. En effet, ce-dernier présente de nombreux avantages vis-à-vis du plastique.

Premièrement, le papier est issu d’une ressource renouvelable, les arbres. Une fibre d'un papier peut se recycler jusqu'à 7 fois. A l’inverse, le plastique est fabriqué en partie grâce au pétrole, qui en plus d’être un ressource fossile de plus en plus rare, est une source de production de gaz à effet de serre. Or, comme vu précédemment, la libération d’une quantité importante de gaz à effet de serre menace notre environnement ainsi que nos écosystèmes.

De plus, le papier est nettement plus biodégradable. Alors qu’il met environ 6 mois à se décomposer, un sac plastique lui, mettra plus de 400ans. Cela pourrait donc contribuer à réduire la pollution de notre environnement. La pollution, notamment des plastiques dans l’océan a des conséquences catastrophiques sur les êtres vivants. Que ce soit des macro-plastiques (de la taille d’un sac plastique) ou encore de micros-plastiques, ils peuvent être ingérés par des animaux marins et leur causer des graves problèmes de santé. Ils peuvent aussi être porteur de produits chimiques dangereux, et donc polluer l’océan.

 

Cette technique innovante a déjà fait ses preuves, en effet elle présente un faible coût de fabrication (quelques centimes d’euros par mètre carré) et respecte le  principe de chimie verte. De plus elle est en phase commerciale (déjà une machine vendue en Corée du Sud) et tous les tests d’imperméabilité, de biodégradabilité, de recyclabilité sont positifs.

Toutes les photos de cette page, sauf précision particulière, sont tirées des documents officiels du CTP.

Nous avons pu, grâce au CTP, obtenir des échantillons d'un papier hydrophobe et oléophobe (à droite sur la vidéo). Nous l'avons ensuite comparé avec un papier seulement hydrophobe (à gauche sur la vidéo) en déposant des gouttes d'huile.

On peut remarquer que le papier hydrophobe se comporte comme un papier normal avec l'huile, c'est-à-dire qu'il absorbe l'huile et qu'il en garde une trace impossible à enlever. Au contraire, sur le papier oléophobe, la goutte d'huile se s'étale pas complètement; et surtout, après avoir essuyé la goutte il n'en reste absolument aucune trace, sans avoir à frotter. En effet, juste passer une fois l'essuie-tout permet d'enlever la totalité de l'huile sans aucune difficulté, et sans résidus.

Vidéo que nous avons réalisée, montrant les différences entre un papier hydrophobe et un papier à la fois hydrophobe et oléophobe face à des gouttes d'huile.

Elle est aussi disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=H-HuleX2OQ8

Échantillon de papier type essuie-tout hydrophobe

Nous avons, au CTP, pu obtenir des échantillons de papier. Le papier en haut sur la vidéo est un essuie-tout classique, utilisé pour la comparaison. C'est un papier particulièrement hydrophile, qui est crée pour absorber l'eau au maximum. Le second papier, est un papier essuie-tout qui a été traité avec la chromatogénie, ce qui l'a donc rendu hydrophobe. On peut ainsi observer sur la vidéo la différence entre ces deux papiers lorsque l'on dépose des gouttes d'eau dessus.

Vidéo que nous avons réalisée, montrant les différences entre un essuie tout classique et un essuie-tout hydrophobe.

Elle est aussi disponible sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=LW9_k95oNvk

Les avantages de cette technique pour l'environnement

La technique

Véritable réaction chimique, cette technique permet d'avoir une efficacité de traitement beaucoup plus grande qu'avec un spray. Il est en effet quasiment impossible, une fois la réaction réalisée, d’enlever le caractère hydrophobe du papier, car l'on effectue un greffage avec une liaison covalente.

Pour obtenir des renseignements sur cette technique qui est relativement nouvelle et dont il est difficile de trouver des informations (que ce soit dans des ouvrages ou sur des sites internet) nous nous sommes renseignées et nous avons trouvé une entreprise sur Grenoble, le CTP (Centre Technique du Papier). Après être entrées en contact avec eux, nous avons pu bénéficier de l’aide de Philippe MARTINEZ, un ingénieur travaillant sur le développement industriel de cette technologie, qui a accepté de nous recevoir pour nous présenter cette technique.

Échantillon de papier oléophobe

Schéma de la structure du papier avant et après la greffe

Schéma de la structure du papier avec la couche de PVOH avant et après la greffe.

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